Les Muller au fil de l’Epée

Ils étaient là dès le début, et depuis 1939 c’est un Muller qui préside la section d’escrime des Sports Réunis de Colmar. Emile, Jean-Pierre et Francis, chacun a contribué à faire grandir le club à sa manière. Retour sur cette famille où on est bretteur de père en fils.

(Selon l’excellent article publié sur DNA par J-T.W en date du 06 juillet 2020)

Emile Muller et son petit-fils Francis (à droite) se livrent un assaut sous les yeux de Jean-Pierre, le trait d’union entre les deux générations. DR

De son grand-père, Emile, Francis Muller dit qu’il avait « deux passions, son entreprise de peinture et l’escrime » en plus d’un « caractère bien trempé ». Il a pu en juger par lui-même car il habitait la même maison de la rue du Mouton à Colmar dans les années 1950. Il a aussi retenu la leçon que son aïeul lui a enseignée : « Dans la vie, le plus important, c’est la ténacité. »

Il en fallait après la Première Guerre mondiale pour reprendre le cours normal de son existence. C’est dans ce contexte qu’en 1920, « une bande de copains » avec le Dr Dietz en chef de bande a créé la société d’escrime de Colmar qui passera rapidement (en 1927) sous le giron des Sports Réunis. Parmi ces pionniers figuraient Emile Muller qui ne se doutait pas, à l’époque, que son nom serait intimement lié à l’histoire des SRC.

Quand Emile façonne le champion Jean-Pierre

« C’était un moyen de s’intégrer dans la vie colmarienne, parmi les commerçants. Et aussi de trouver de la clientèle, résume a posteriori « Franz », son petit-fils. Petit à petit, les autres sont passés à autre chose et lui a pris la présidence du club. » C’était en 1939. Depuis lors, les Muller se succèdent à la tête de la section qui a pris son autonomie en… 1995.

Mais en bon artisan qu’il était, et qui aime le travail bien fait, Emile Muller a décidé de faire de son fils unique, Jean-Pierre, un escrimeur de haut niveau. Sans les facilités que l’on peut connaître aujourd’hui. « Un entraînement à la hussarde », selon une source familiale bien informée, qui commençait par un réveil à six heures, du saut à la corde et des leçons données dans le couloir de la maison familiale, puis une journée sur les chantiers avant un détour, le soir, par la salle d’armes.

Emile Muller a fait partie des pionniers de l’escrime colmarienne. DR

« Leur vie était dédiée à l’escrime, souligne Francis, l’actuel président des SRC. A l’époque, les parents décidaient de tout. Mon grand-père était toujours derrière mon père. Ils s’entraînaient plus qu’à l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance)  ! Les dimanches étaient réservés pour la compétition. Après, ce n’était pas le bagne non plus, il y avait une passion commune. Et peut-être que mon grand-père voulait vivre par procuration la carrière qu’il aurait aimé faire. Pour mon père, c’était aussi la possibilité de pouvoir voyager. »

L’impossible succession

Chacun y a donc trouvé son compte. Et Jean-Pierre Muller est devenu le digne successeur de Paul-Albert Wormser, médaillé de bronze par équipes aux JO de Berlin (en 1936), après ses nombreux succès internationaux et sa sélection pour les Jeux de Helsinki (voir encadré). Et comme la qualité de peintre, le goût de l’escrime s’est aussi transmis de génération en génération. Et c’est très naturellement que le jeune Francis a signé, dès ses six ans, une licence aux SRC.

Dans les pas de son père, épéiste émérite et « forcément un modèle », « Franz » a découvert l’Allemagne, vu les grands lacs de Suisse et les thermes de Vittel. Sa mère Paulette et sa sœur Danielle étaient aussi des voyages. Et pour s’évader à moindre coût, il suffisait d’interroger le paternel sur l’origine des nombreuses coupes dans le salon.

Francis Muller, président des SR Colmar, a succédé à son grand-père et à son père à la tête du club d’escrime. Photo Archives DNA/Laurent HABERSETZER

« On parlait escrime à table midi et soir mais mon père n’en faisait pas trop », se souvient Francis Muller. Lui n’a pas eu la chance de connaître la même carrière. Bon tireur régional, il a même fait partie du « top 15 français », en compagnie des Philippe Boisse et Philippe Riboud, doubles champions olympiques, entre autres. « Mais pour être sélectionné, il faut faire partie des cinq meilleurs, rappelle comme une évidence le sexagénaire qui a aussi dû composer avec l’aura écrasante de son père. Être le fils d’un champion, c’est beaucoup de pression. Je n’ai pas été aussi bon. A un moment, j’ai manqué de sparring-partners pour continuer à progresser. J’étais beaucoup épié. Il y a eu une forme de barrage psychologique. »

Qu’à cela ne tienne, c’est au sein des Sports Réunis de Colmar, où il a relevé son père Jean-Pierre – qui avait lui-même succédé à Emile (1939-1962) – après un mandat de près de 30 ans à la présidence (1962-1991), qu’il a accompli son grand œuvre. A 40 ans, bien décidé à ne plus passer au second plan derrière Mulhouse et Strasbourg, Francis Muller a entrepris de redonner son lustre aux SRC. Bien aidé aussi par la Ville de Colmar qui a mis à disposition, en novembre 2009, la salle d’armes de la Waldeslust, « un équipement de haut niveau », en lieu et place des Catherinettes.

Un club qui compte à nouveau

En 30 ans, le projet sportif n’a cessé de se développer au point d’avoir deux équipes, masculine et féminine, en championnat de France de Nationale 1, des escrimeurs régulièrement sélectionnés en équipe de France dans différentes catégories d’âge mais aussi des candidats naturels aux JO. Sans compter les tournois de prestige organisés à Colmar. Les SRC sont devenus un club qui compte.

« En voyant comment les choses se passaient ailleurs, j’avais envie d’aller plus loin, souligne le président Muller, également membre du bureau directeur de la fédération française d’escrime et arbitre international. Tout le monde ne peut pas se targuer d’avoir un tel bilan. J’ai toujours eu cet esprit de challenge. En contrepartie, ça prend du temps au quotidien, on gère plus une entreprise qu’une association. »

Le club des SR Colmar est désormais bien installé dans le paysage national et accueille des circuits nationaux voire européens. Photo Archives DNA/Nicolas PINOT

A 68 ans, l’ancien peintre et propriétaire d’un magasin de décoration sait que son mandat approche doucement de sa fin. Ses deux fils, Maxime et Xavier, qui ont tous les deux été de bons tireurs, se sont désormais éloignés des SRC. Mais qui sait si, le moment venu, l’un d’eux ne se dévouera pas pour reprendre le flambeau familial.